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Appel du divorce et maintien du devoir de secours: la Cour de cassation coupe le robinet !

L’époux qui a obtenu gain de cause sur le fondement du divorce ne peut plus faire appel du chef de celui-ci pour continuer à percevoir sa pension alimentaire pendant la durée de la procédure d’appel sur les conséquences du divorce.

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Mise à jour le 22/03/2023
Par Marion Coeuret

Jusqu’à quand la pension alimentaire entre époux, au titre du devoir de secours, est-elle due ? La pension alimentaire entre époux est-elle maintenue en cas d’appel ? La pension alimentaire peut-elle être maintenue en cas d’appel même si le prononcé du divorce est acquis dès la première instance ?

La question de l’articulation du terme du devoir de secours et des règles de procédure en cas d’appel du jugement de divorce a agité la jurisprudence de longue date. Le vent vient de tourner dans un sens défavorable au créancier du devoir de secours …

Devoir de secours entre époux : un effet du mariage applicable jusqu’au prononcé définitif du divorce

Le devoir de secours se matérialise par le versement d’une pension alimentaire au profit de l’époux le plus démuni, au titre des mesures provisoires décidées par le juge lors de l’audience sur mesures provisoires (= ancienne audience de conciliation).

L’article 254 du code civil dispose que : « Le juge tient, dès le début de la procédure, une audience à l’issue de laquelle il prend les mesures nécessaires pour assurer l’existence des époux et des enfants de l’introduction de la demande en divorce à la date à laquelle le jugement de divorce passe en force de chose jugée ».

L’article 260 du code civil précise que le mariage est dissous par la décision qui prononce le divorce, à la date à laquelle elle prend force de chose jugée.

Selon l’article 500 du Code de procédure civile, une décision passe en force de chose jugée (= devient définitive), lorsqu’elle n’est plus susceptible d’un recours suspensif d’exécution.

Effet suspensif de l’appel : prononcé du divorce différé et maintien du devoir de secours

Or, l’appel est par principe un recours suspensif de l’exécution du jugement (article 539 du Code de procédure civile).

Toutefois, la réforme de la procédure opérée par le décret 11/12/2019 a porté un sacré coup d’estoc à ce principe en rendant les décisions de première instance exécutoire de droit, c’est-à-dire immédiatement applicable, nonobstant l’exercice d’une voie de recours (article 514 du Code de procédure civile). La matière familiale fait néanmoins exception, et l’article 1074-1 du Code procédure civile prévoit qu’à moins qu’il n’en soit disposé autrement, les décisions du Juge aux affaires familiales ne sont pas exécutoires de droit. 

Il en résulte donc que l’appel d’un jugement de divorce suspend le prononcé du divorce, et fait survivre le mariage et les effets du mariage, dont le devoir de secours, jusqu’à l’arrêt d’appel (voire au-delà en cas de pourvoi en cassation, puisque par exception, le pourvoi en cassation est suspensif en matière de divorce, ainsi que le prévoit l’article 1086 du Code de procédure civile).

Mais le seul effet suspensif attaché à l’appel en matière de divorce ne suffit pas à faire survivre le devoir de secours jusqu’à l’issue de la procédure d’appel, et encore faut-il le combiner avec l’effet dévolutif de l’appel, en fonction de l’objet de l’appel, selon qu’il porte (ou peut porter) sur le prononcé du divorce lui-même, ou seulement sur les conséquences du divorce.

Et c’est sur ce point que la réforme de la procédure opérée par le décret du 6 mai 2017 quant à l’effet dévolutif de l’appel, a rebattu les cartes du jeu sur la survie de la pension alimentaire due au titre du devoir de secours en cas d’appel ….

Ancien appel général : devoir de secours maintenu pendant la procédure d’appel

Avant 2017, sous l’empire de l’ancien article 562 du code de procédure civile, l’appel était par principe général : la dévolution du jugement à la Cour opérait pour le tout lorsque l’appel n’était pas limité à certains chefs du jugement.

Ainsi, l’application combinée des dispositions de l’article 260 du Code civil et des articles 500 et 539 Code de procédure civile, conduisait à considérer qu’en cas  d’appel général du jugement de divorce remettant ainsi en cause le divorce lui-même, la décision de divorce ne pouvait passer en force de chose jugée avant l’arrêt d’appel.

Un époux, spécialement l’époux créancier du devoir de secours, pouvait donc faire un appel général, quand bien même il avait obtenu le divorce sur le fondement qu’il avait sollicité, soit le divorce pour faute aux torts de son conjoint, le divorce pour acceptation du principe de la rupture du mariage, ou pour altération définitive du lien conjugal.

A contrario, si l’appelant limitait son appel aux dispositions du jugement sur les conséquences du divorce, et que l’intimé ne faisait lui-même pas appel incident sur le principe du divorce, le prononcé du divorce pouvait acquérir force de chose jugée avant l’arrêt d’appel (en l’occurrence, au jour du dépôt des conclusions d’intimé).

Mais depuis 2017, le principe est inverse, et l’appel est par principe limité, aux seuls chefs de jugement expressément critiqués, à défaut de quoi il n’opèrera aucun effet dévolutif.

Avec le trépas de l’appel général, la question qui s’est posée est la suivante : l’époux qui a obtenu le prononcé du divorce sur le fondement qu’il demandait, peut -il faire appel « artificiellement » du prononcé du divorce avec les autres chefs de jugement sur les conséquences du divorce dont il n’est pas satisfait, afin de faire durer le versement de la pension alimentaire entre époux jusqu’à l’issue de la procédure d’appel ?

La Cour de cassation a d’abord persisté à le déclarer et a maintenu sa jurisprudence ancienne, selon laquelle l’époux pouvait faire appel de tous les chefs du jugement du divorce, de sorte que le prononcé du divorce ne pouvait passer en force de chose jugée avant le prononcé de l’arrêt, peu importe en cas de divorce accepté, que l’acceptation du principe du divorce soit devenue devenue irrévocable et qu’elle ne puisse plus être contestée sauf vice du consentement (1ère Civ, 15 décembre 2021, n°20-18.457 ; 1ère Civ, 12 janvier 2022, n°20-17.913).

En d’autres termes, la Cour de cassation estimait que la demande en divorce formait un tout, avec une interdépendance entre le prononcé du divorce et les conséquences de celui-ci, le prononcé du divorce ne pouvant acquérir force de chose jugée avant que les conséquences de celui-ci ne soient définitivement tranchées.

Cette jurisprudence permettait donc à l’époux qui avait obtenu une pension alimentaire au titre du devoir de secours en première instance, de former appel ou de défendre à un appel sur la prestation compensatoire, tout en continuant à percevoir sa pension alimentaire, et ce même si le principe du divorce était en réalité acquis depuis le jugement lorsqu’il avait été prononcé sur le fondement de l’acceptation (article 233 du code civil) ou de l’altération définitive du lien conjugale (article 238 du code civil).

Cette solution avait pour mérite d’assurer une continuité temporelle entre les effets pécuniaires du mariage et du divorce : on trouvait d’abord la contribution aux charges du mariage pendant la durée du mariage, puis la pension alimentaire entre époux au titre du devoirs de secours qui prenait le relai pendant la durée de la procédure de divorce, et enfin, la prestation compensatoire dont le versement intervenait à l’achèvement de l’instance en divorce.

Mais un arrêt de la Cour de cassation en date du 9 juin 2021 (1ère Civ. 9/06/2021, n°19.10-550) sur la délimitation de l’intérêt à interjeter appel devait inexorablement conduire à un réexamen de la solution en matière de procédure de divorce.

C’est ainsi que la Cour de cassation a été saisie par le Cour d’appel de Paris d’une demande d’avis, dont la question était ainsi formulée : [dans le cadre du nouveau régime de l’appel applicable depuis le 1er septembre 2017], l’intérêt de l’un des époux à faire appel du prononcé du divorce, prononcé conformément à ses prétentions par le premier juge, peut-il s’entendre de l’intérêt à ce que le divorce n’acquière force de chose jugée qu’à la date à laquelle les conséquences du divorce acquièrent elles-mêmes force de chose jugée ? ».

En d’autres termes, l’époux qui a obtenu le prononcé du divorce sur le fondement qu’il sollicitait, qu’il s’agisse d’un divorce pour faute aux torts de son conjoint, pour acceptation du principe de la rupture du mariage ou pour altération du lien conjugal, est-il recevable à interjeter appel du chef du prononcé du divorce ?

La Cour de cassation, dans son avis du 20 avril 2022 (Avis Cass. 20/04/2022, n°22.70-001) répond par la négative : l’époux qui a obtenu le divorce sur le fondement qu’il demandait, n’a pas succombé de ce chef, de sorte qu’il n’a pas d’intérêt à faire appel du prononcé du divorce lui-même.

Nouvel appel limité : fin des prolongations du devoir de secours pendant la procédure d’appel

Il s’ensuit que l’époux, créancier d’un devoir de secours en première instance, pourra perdre son droit à pension alimentaire, alors même que la prestation compensatoire fera l’objet d’un appel et qu’elle ne sera pas immédiatement exigible.

Cette solution, si elle est pertinente en droit procédural, est socialement désastreuse pour l’époux démuni, qui sera dans la plupart des cas, la femme … ! qui se trouvera privée de ressources pendant la procédure d’appel, dans l’attente que la Cour d’appel statue définitivement sur la prestation compensatoire (dans son principe et sur son montant).

Il y aura donc un enjeu stratégique sur le choix du fondement du divorce poursuivi, en présence d’une disparité significative de ressources entre les époux.

Du côté de l’époux précaire, dont la situation donne matière à devoir de secours et à prestation compensatoire, et donc avec un risque d’appel sur la prestation compensatoire, il y aura un intérêt à aller sur le terrain de la faute, plutôt que sur celui de l’acceptation ou de l’altération du lien, pour se ménager un intérêt à agir du chef du prononcé du divorce lui-même, en cas d’appel du jugement de divorce.

Le risque est donc la résurgence des demandes en divorce pour faute, reposant sur des griefs de gravité très relative, si ce n’est grotesque. 

Il y a à l’évidence une difficulté qui tient à l’absence d’adaptation de la procédure d’appel aux spécificités de la procédure de divorce : l’appel général permettait de faire le pont entre le devoir de secours et l’exigibilité de la prestation compensatoire, là où l’appel limité déconstruit cet ordonnancement en permettant à l’époux de se libérer du paiement du devoir de secours sans avoir encore payé la prestation compensatoire.

Un toilettage de l’article 1079 du Code de procédure civile, qui prévoit que la prestation compensatoire ne peut être assortie, sauf exception, de l’exécution provisoire, s’impose.

Si ce postulat s’entendait à une époque où l’appel général permettait de limiter les inconvénients d’une prestation compensatoire jugée indépendamment du prononcé du divorce, il n’est plus tenable.

L’autre levier pour compenser la précarisation induite par cette solution pourrait être de demander une prestation compensatoire provisionnelle, en application de l’article 1079 alinéa 2 du Code de procédure civile ; mais encore faudra t-il pour l’époux créancier démontrer que l’absence d’exécution provisoire de la prestation compensatoire aura pour lui des conséquences manifestement excessives, et/où espérer du juge de l’empathie pour être moins regardant sur le caractère exceptionnel de la prestation compensatoire provisionnelle …

A ce, il pourra être rétorqué que la prestation compensatoire n’a pas vocation à faire vivre l’époux pendant la durée de la procédure, alors même que le divorce n’est pas encore tranché dans tous ses effets. Ce qui est parfaitement vrai.

On suivra donc de près la manière dont cette solution sera assimilée (et compensée ?) par les époux, leurs avocats et les juges.






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